Par Maître Romain SINTES
Jeune avocat formé pendant 10 ans au sein du cabinet de Me Christophe Lèguevaques le plus toulousain des avocats parisiens, Me Romain Sintès vient de prêter serment devant la Cour d’appel de Toulouse. Il a travaillé notamment sur les dossiers de reprise d’entreprises en difficulté par les salariés à la barre du Tribunal. Il n’hésite pas à nous livrer son retour d’expérience.
Lorsqu’une entreprise en difficulté bénéficie d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, le code de commerce prévoit la possibilité pour des Repreneurs de formuler une offre de reprise de la société en difficulté. Cette offre de reprise peut émaner d’un tiers mais peut aussi émaner des salariés de l’entreprise en difficulté. Lorsque cette offre émane des salariés, ils ont la possibilité de se constituer sous forme de société coopérative ouvrière de production : SCOP. Ce modèle de production fait ses preuves puisque le nombre de SCOP est en progression constante et que le taux de pérennité des SCOP à 5 ans est de 64% contre 50% pour l’ensemble des entreprises françaises (Insee)
Alors que ce modèle de production devrait être encouragé et qu’il permet à l’évidence de maintenir de l’emploi lorsque les salariés de ces entreprises en difficulté ne voient aucun Repreneurs se manifester, nous constatons que les textes en vigueur ne sont pas adaptés à la reprise en SCOP par les salariés.
En effet, lorsque les salariés décident de se grouper pour maintenir leurs emplois, ils formulent une offre de reprise et le Tribunal doit vérifier notamment que cette offre « permet d’assurer durablement l’emploi » (L 642-5 du code de commerce).
Dans la mesure où il s’agit de salariés très souvent ouvriers qui formulent l’offre de reprise, ils n’ont pas d’économies personnelles suffisantes pour permettre un redémarrage de l’entreprise en difficulté. Dès lors, l’offre de reprise prévoie le licenciement économique des salariés par l’entreprise en difficulté, leur inscription en tant que demandeur d’emploi et la constitution d’une SCOP par les salariés licenciés qui peuvent alors capitaliser leur droit au chômage comme tout demandeur d’emploi désireux de reprendre ou créer une entreprise (ARCE : aide à la Reprise et à la création d’entreprise). En fonction du nombre de salariés licenciés qui souhaitent se grouper pour refaire partir l’entreprise, la capitalisation de leur droit au chômage permet la constitution d’une cagnotte de départ plus ou moins importante qui elle-même crée la confiance chez les partenaires financiers qui à leur tour acceptent de financer la reprise.
Or cette façon de procéder se heurte au texte inadapté qui prévoit que le Tribunal doit retenir l’offre qui « assure durablement l’emploi ».
Imaginons une entreprise de 15 salariés qui formulent une offre de reprise. S’il est indiqué dans le plan que les 15 salariés sont licenciés pour générer le droit à l’ARCE X 15, le Tribunal, comme l’AGS et les membres de la procédure considèrent que le critère de maintien de l’emploi n’est pas respecté puisque le licenciement entraine la rupture du contrat de travail. Même s’il est démontré que cette inscription en tant que demandeur d’emploi n’est que de quelques heures pour permettre de générer les droits à l’aide à la Reprise d’entreprise et que dans la réalité ces 15 personnes retrouvent un emploi immédiatement, le critère n’est pas respecté nous dit-on….Résultat ? : le plan n’est pas homologué, l’offre n’est pas acceptée, les 15 salariés sont au chômage ! Cherchez l’erreur et imaginez le sentiment de ces 15 personnes qu’on envoi au Pôle emploi en leur expliquant que leur plan ne maintien pas l’emploi…
Si on formule la même offre de reprise avec seulement 3 personnes licenciées économiquement pour générer leur aide et qu’elles poursuivent ensuite le contrat de travail des 12 autres salariés, alors dans ce cas oui il peut être considéré que le critère de maintien de l’emploi est respecté parce qu’il n’y a que 3 licenciements. Mais dans ce cas, l’aide à la Reprise est puissance 3 au lieu de 15… le plan de reprise avec seulement 3 salariés licenciés n’est en principe pas présenté puisqu’il n’est pas assez capitalisé pour être pérenne.
L’initiative entrepreneuriale n’est donc pas encouragée. Il semble donc urgent de se pencher sur la question pour permettre à des initiatives salariées de prospérer d’autant plus que le modèle choisi est en constante progression.